Vous le voyez sur la photo : elle est bien plus grande que les autres ! Je suis allé regarder en détail : pas de contenance ! Mais à vue de nez, elle contient au moins six litres (huit bouteilles). Ce serait donc un mathusalem. Quand on sait que la suivante dans la liste, le salmanazar, contient neuf litres, soit douze bouteilles, on se dit que ce serait trop ! Je vote donc pour le mathusalem, surtout que n’ayant aucune intention de l’ouvrir, je ne me vois pas la plonger dans une bassine et mesurer le volume de l’eau qui aura débordé.
Il s’agit également de l’un de mes vins les plus vieux : du 79. Rien d’étonnant à cela, comment voulez-vous que je me résolve à l’ouvrir ? Voyez plutôt. En 86, je rentrais d’un mission de longue durée à l’étranger – je vous parlerai dans un autre post des vins que j’y ai rencontré – et je me trouvais en quelque sorte en inter-contrat, c’est-à-dire libéré de mon boulot précédent et pas encore impliqué dans un nouveau. Septembre arrivant, un de mes amis qui dirigeait un vignoble en Ardèche me propose d’y faire les vendanges. Excellente idée ! Et me voila dans les vignes du domaine de Bournet, à Grospierre, en train de faire le gerlot (le porteur de gerle, c’est-à-dire celui qui collecte dans les rangs et porte à la remorque) pour une équipe de coupeurs issue des banlieues défavorisées de Lyon menée par un éducateur inventif et gonflé. Les vendanges terminées, comme il a besoin de main d’œuvre en cave pour sa vinification, il me propose de rester. Banco ! Arrive alors la fin du mois et mon anniversaire. Comment en a-t-il connu la date, mystère, mais le soir même, me voilà au centre d’une petite fête improvisée et d’une avalanche de cadeaux dont… un mathusalem de Domaine de Bournet 1979 ! Il contient une fraction de la première vendange de Gérard Sauzon, mon employeur et ami, sur ce domaine qu’il venait de prendre en fermage, s’exilant de son Beaujolais natal. Il s’agit de vin de pays, de vin de table même : rien de rare. Mais chacun y est allé de son petit commentaire de circonstance sur l’étiquette, et ça, c’est devenu unique.
Plus tard, en délicatesse avec son propriétaire, Gérard a quitté le domaine de Bournet pour déployer ses ailes dans le monde du négoce, et je l’ai moins vu. Je sais qu’il a ouvert un point de distribution dans le nord de Lyon, et que son affaire prospère. Quand au domaine de Bournet, passant devant récemment, j’ai vu qu’on y arrachait des vignes. Pour en replanter, j’espère…