…de ma cave, bien sûr ! En vrai, ils sont au Sud-Ouest de la France et en haut à droite dans mon cœur. C’est normal, mon premier vrai achat de vin – six bouteilles à dix francs la bouteille – c’était du Bordeaux. Clos Badon, un Saint-émilion de la plaine croquant de fruit malgré un terroir peu prestigieux. C’était du soixante-douze, et vous n’allez pas le croire, il m’en reste un bouteille ! Une certitude, je ne l’ouvrirai jamais. Peut-être donnerai-je une consigne d’ouverture à mes gosses dans mon testament, si j’en rédige un, histoire de les enquiquiner une dernière fois. Mais au vu du niveau actuel de la bouteille, je doute du plaisir gustatif que je pourrais en tirer ; il vaut mieux que je me limite au plaisir de la collectionner. D’ailleurs, ce serait idiot, car j’ai continué à me fournir à Clos Badon jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, lorsque Philippe Dugos décida de cesser son activité et que le domaine fut vendu. Une chose est certaine, si je passe à proximité, j’y retournerai, car ce vin ne m’a jamais déçu.
En fait, je dois vous le dire, cette caisse, je l’ai achetée à sa sœur Brigitte, en soixante-quatorze ou soixante-quinze. A mon avis, la Brigitte, je l’avais rencontrée au café Belge, à Toulouse. J’y poursuivais mes études – à Toulouse, je veux dire – elle sortait avec une bande de copines, moi avec une bande de copains, il me semble même que certains ont fait affaire, à l’époque. Mais ma mémoire des histoires sentimentales est moins bonne que celle de mes papilles, et mon grand souvenir, c’est cette fraîcheur et ce fruité inimitable dont m’a gratifié sans faillir ce nectar chaque fois que je l’ai convoqué. Quand le quatre-vingt-deux est sorti, j’en avait fait venir une palette entière pour mes collègues de Grenoble – il m’en reste, bien sûr – eh bien l’année suivante, le Philippe m’avait fait tenir une caisse de vingt-quatre échantillons de quatre-vingt-trois, des fillettes, à croquer ! Vous allez rire : il m’en reste aussi !