Il n’y en a qu’une : c’est une bordelaise, enveloppée dans un papier de soie violet, opaque. Je ne sais pas ce que c’est… C’est ça qui est bien : vous trouvez une bouteille que vous avez stockée vous-même dans votre propre cave, vous l’oubliez quelques années, et vous ne savez plus ce que c’est ! Bien entendu, vous vous empressez de ne pas la dévoiler : tenter de la situer à l’aveugle avec l’aide de quelques convives va vous fournir un divertissement de choix ! Heureusement, vous avez quelques indices : plusieurs années en arrière, lorsque vous vous arrêtiez chez un vigneron et qu’après une dégustation aussi plaisante qu’instructive, vous emportiez une caisse de son produit, il n’était pas rare qu’il enveloppe les bouteilles lui-même en les roulant dans un rectangle de papier de soie, tout en continuant à vous faire la causette pendant que vous rédigiez votre chèque. Ou alors, s’il voulait vous faire plaisir ou vous faire goûter une spécialité que vous aviez zappée dans sa gamme, il vous offrait une bouteille qu’il enveloppait de même avec un soin de sage-femme dans un de ces carrés de papier fin – et opaque. Suivant les régions, la coutume est plus ou moins vivace, ce qui associé à la forme du flacon, en situe plutôt l’origine dans le quart sud-ouest de la France… si c’est un vin français ! Bon. Je prends toutes les précautions nécessaires pour ne voir ni la capsule – la couleur du congé pourrait me donner une indication sur la nature de l’appellation – ni le bouchon – souvent porteur d’une information d’origine ou d’un millésime – ni l’étiquette, bien sûr. Mais je ne peux m’empêcher de constater, au remplissage du premier verre, que du liquide manque. Il s’agit donc d’un millésime suffisamment ancien pour avoir perdu du niveau…
Tout de suite, un coup d’œil : un rouge profond, soutenu, plus pourpre que violacé, net et brillant, sans tache. Une présentation prometteuse, sans les caractéristiques habituelles du vin rouge très âgé, la baisse de niveau ressemble plutôt à un accident de bouchon, de température, ou à une station verticale prolongée. Le bouchon ? Vite, un coup de nez ! Non, pas de liège, pas de moisi, pas de faux-nez ! Ouf ! On va pouvoir poursuivre.
Le nez parait classique. Merlot, peu vineux, assez retenu, plus floral que fruité. Pas très expressif, hormis le bois. Bon ! Un merlot passé dans le bois, ça se précise. Très loin, peut être un peu de réglisse, mais à la limite de la perception. En bouche, une bonne attaque, une belle vivacité et beaucoup d’équilibre, mais pas trop d’expressivité. Seuls les tanins, un peu desséchants, témoignent d’une finesse passée qui commence à s’estomper. Mais la chair est toujours là, et la réglisse s’affirme. Alors ? Une bouteille d’une dizaine d’années, à dominante merlot, encore très en forme. Un périphérique de St-émilion ? Je n’obtiens pas le consensus là-dessus, plusieurs avis éliminent le Bordelais. Mais rien à faire, on ne peut se mettre d’accord sur une provenance précise, alors on reste sur un sud-ouest consensuel.
La bouteille dévoilée, il s’agit d’un Cahors. Château St-Didier-Parnac 2001. Pas mal, tout de même, certains d’entre nous ont évoqué le Cahors, mais la typicité n’était pas suffisante et l’appellation n’a pas réuni les suffrages. Un bon point : 12,5° d’alcool seulement, qui expliquent cette facilité à le boire, ce côté désaltérant. Curieusement, le merlot ne représente que 15% de l’encépagement sur Saint-Didier, et pourtant, c’est lui que l’on a identifié en premier. Ah, le Cahors, Parnac, le malbec. Là aussi, j’ai de beaux souvenirs. Et quelques tristes. Allez, c’est dit, un jour, je vous raconterais tout ça.