L’autre soir, j’étais invité à dîner chez des amis qui connaissent mes faiblesses. On avait des tas de choses à boire, mais la maîtresse de maison me réservait une bouteille spéciale qu’elle s’était procurée elle-même en Italie à l’occasion d’un voyage en Toscane. N’y connaissant rien en vins Toscan, et ayant entendu qu’elle avait traversé la région de Chianti, je m’attendais à un produit local présenté dans la célèbre fiasque paillée de raphia. Arrive une bordelaise. Bien, me dis-je, il me semble que les Chianti Riserva sont conditionnés dans ce type de flacon. Là s’arrêtaient mes connaissances. Puis elle me sert un liquide noir comme de l’encre et dense comme une Antésite. Oh oh ! Pas de nez… Il faut dire que la forme des verres utilisés, évasées, n’aidait pas. Je goûte. Très tannique, un peu confituré, une forte amertume en fin de bouche, un petit fruité à l’attaque, mais peu de caractère au développement, un truc inclassable. Il m’évoquait un vin de cépage chilien ou australien. Un coup d’œil discret à la bouteille pour ne pas faire d’impair, car même avec une réputation de franchise, on peut fâcher : du cabernet-sauvignon ! Pas un grain de Sangiovese. Il ne s’agissait d’ailleurs pas d’une AOC (DOC en italien), mais d’une IGT (Indicazione Geografica Tipica), sorte de VDQS ou de vin de pays ne pouvant se réclamer de l’AOC pour des raisons réglementaires. Pas très intéressant et assez déroutant pour le béotien en vins italiens que je suis, sans références et obligé de me baser sur l’étiquette. J’ai bredouillé un commentaire comme j’ai pu auprès de mon hôtesse, puis je me suis renseigné.
Un sacré micmac, en Toscane. Le cabernet-sauvignon a été importé dans les années 60 comme améliorateur, mais s’est retrouvé hors-la-loi pour l’AOC Chianti dans laquelle on ne pouvait intégrer que des cépages locaux, dont des blancs tout ce qu’il y avait d’inadapté. Mais comme le cabernet-sauvignon réussissait bien dans ce secteur, plusieurs vignerons se sont mis à faire un IGT en assemblant le Sangiovese et le cabernet-sauvignon, dont la qualité dépassait celle de l’AOC au point qu’ils ont eu droit à leur propre nom de baptême : les « super toscans » ! Le monde à l’envers… Heureusement, la réglementation a fini par évoluer, et si le Sangiovese doit entrer pour 80% au moins dans la composition du Chianti, son cousin bordelais peut maintenant faire partie des 20% restants.
Pas étonnant que les touristes s’y perdent et rapportent du cabernet-sauvignon ! Donc, s’il y a une leçon à retenir, en cas de doute, basez-vous sur l’AOC : avec le temps, les erreurs finissent par être corrigées !