La première bouteille en haut à droite

Gigondas 1993. Château de Montmirail, Cuvée de Beauchamp

Ma cave présente une organisation très simple : sur les deux grands côtés, Nord et Sud, trois casiers métalliques de deux fois cinquante bouteilles chacun se succèdent. Six cents places, donc. Au fond, sur le mur Est, j’ai construit en Siporex seize vastes casiers sachant contenir, en les remplissant bien, de vingt-cinq à trente bouteilles. Une cave de mille places, grosso-modo.
Je n’ai jamais eu mille bouteilles. A mon avis, au maximum, il y en a eu sept cents à un moment donné. Actuellement, je dois tourner autour de cinq cents cinquante – six cents. Bien sûr, ça se renouvelle. Les blancs secs stationnent rarement plus de deux-trois ans, à l’exception de quelques Pessac-Léognan ou Bourgognes de garde. En revanche, il me reste des rouges de quatre-vingt-trois, voire de quatre-vingt-un. Les liquoreux sont hors concours, évidemment, avec un soixante-dix sans doute encore fringant.
On ne peut pas ranger mille bouteilles au hasard : il est donc normal que je rencontre à cette position un Gigondas, puisque j’ai rangé de gauche à droite sur les casiers sud les Côtes-du-Rhône du Sud, puis les Côtes-du-Rhône du Nord, les Sud-Ouest, et enfin les Bordeaux.
1993 n’est pas une surprise non plus : c’est l’année de naissance de mon fils. Dans votre cave, les fils de votre vie s’entrecroisent : les naissances, les coups de cœur, les foires aux vins où peu d’affaires se révèlent valables, les salons visités avec des amis enthousiastes et les cadeaux que vous n’osez pas ouvrir, mais dont les circonstances ne quittent jamais votre mémoire…
Je me sers au château de Montmirail depuis la fin des années quatre-vingts, de façon sporadique eu égard aux distances qui séparent ma cave du vignoble. Mais avec une certaine fidélité, et un vrai engouement pour ce Gigondas fruité et puissant que je n’aime jamais tant que lorsqu’il exhale après vingt années ou plus, dans une robe plus qu’automnale, ces senteurs de bouquet séché et de roses fanées. Souvent amaigri, il ne tient pas la distance, et doit être capté à sa première exhalaison, mais Dieu, que de nostalgie dans ce nez !