Avec un beau plateau d’huîtres, on sert du blanc, c’est bien connu. C’est même recommandé, certains auteurs n’hésitant pas à prétendre que si d’aventure les huîtres servies véhiculaient une quelconque vérole, le blanc qui les accompagne aurait tôt fait d’en venir à bout ! Pourquoi pas, mais reconnaissons que le simple plaisir d’un coup de blanc sec sur le bivalve iodé justifie à lui seul la conjonction et que nul n’est besoin de convoquer la défense de notre santé. Quoi qu’il en soit, une grave question se pose : depuis qu’un tiers des huîtres vendues sur le marché sont des « triplos », doit-on changer de blanc pour les accompagner ? Ah, mais vous ne savez peut-être pas ce que sont les « triplos » ? Voici l’affaire : comme tout organisme à reproduction sexuée, l’huître obtient la moitié de son génome de son papa et l’autre de sa maman. Une huître normale – donc diploïde – possède dix paires de chromosomes hérités de ses parents, et fabriquera des gamètes – les cellules de la reproduction – haploïdes, donc munis de dix chromosomes qui, correctement appariés par la nature, donneront des œufs, puis les petites huîtres – toujours diploïdes – qui finiront dans votre assiette. Mais nos crânes d’œuf de l’Ifremer ont trouvé mieux : partant de l’idée qu’un organisme disposant non pas de paires, mais de triplets de chromosomes, se révèle quasiment toujours stérile, ils se sont débrouillés pour créer des huîtres à dix triplets de chromosomes – triploïdes, donc – qui passent l’essentiel de leur activité à faire du lard au lieu de fabriquer des gamètes ! Résultat, deux ans dans les parcs au lieu de trois et aucune laitance, ce qui permet de les commercialiser toute l’année ! Tout bénef, donc. Notez que tout cela n’est pas nouveau : nous mangeons des mandarines triploïdes depuis quarante ans, des bananes triploïdes depuis que leur culture a été domestiquée il y a 5000 ans, et maintenant des pastèques triploïdes sans pépins… On a même créé des truites triploïdes pour qu’elles grossissent plus vite.
Quel rapport avec ma cave, me demanderez-vous ? Mais le blanc, bien sûr ! Jusqu’à présent, avec les huîtres, j’ai servi de l’Apremont, d’abord de chez Félix Molard, maintenant de chez Christophe et Bernard Richel. Parfois un Riesling Mandelberg, quand j’en ai. Mais je me pose des questions. D’abord, on dit que les « triplos » ont un goût un peu plus sucré que les « diplos ». À vérifier, donc, et si c’est vrai, ajuster le blanc d’accompagnement. Ensuite, le côté naturel. À bien y regarder, on peut se demander qui du vin et des huîtres est le plus « naturel » : prédominance de la sélection clonale sur la sélection massale pour la régénération des vignobles, ingénierie génomique appliquée aux levures de moins en moins indigènes, marquage génétique des porte-greffes à des fins généalogiques, innovations variétales résistant durablement au mildiou et à l’oïdium, toute la panoplie des technologies modernes de l’agro-alimentaire est convoquée pour rendre plus facile, plus sûre et plus rentable l’élaboration de notre nectar favori. Et je ne vous parle pas des bouchons !
Dois-je en tirer une conclusion ? Je ne crois pas. Une question, peut-être. Savez-vous pourquoi l’activité autour des nouvelles levures est si forte ? C’est pour contrer le réchauffement climatique : on s’est mis à la recherche de levures à faible rendement en alcool pour maintenir le degré des vins à des valeurs acceptables malgré la progression inexorable des maturités !
C’est cela que l’on appelle la fuite en avant ?